Analyse #25 – Marc Sinnaeve – Dans l’exil, l’un est l’autre

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Depuis l’été, la « marée des migrants » monte, dans la perception commune, à la vitesse d’un cheval au galop. On parle de « choc » ou de « crise » migratoire. Et si plutôt que notre capacité d’accueil ramenée à un ratio des bénéfices sur les coûts, c’était notre humanité commune qui était mise à l’épreuve ? Et s’il fallait s’interroger davantage sur la part d’étranger qui entre en nous, plutôt que sur la part des étrangers à « accepter » et à faire entrer « chez » nous ?

S’inspirant d’un poète de Sarajevo, l’écrivain Erri De Luca le résume dans un très beau texte : les exilés d’outre-Méditerranée, qui cherchent à se sauver de leurs pays qui brûlent, voient l’Europe comme le marteau rouge qui, dans les transports publics, sert à briser la vitre en cas d’incendie ; tandis que l’Europe, elle, aspire à être la vitre incassable de l’autobus en flammes… sur lequel elle a jeté elle-même des bombes incendiaires, ou, c’est selon, qu’elle a laissé partir en fumée.
L’allégorie du marteau, de la vitre et de l’autobus en flammes est symptomatique de la complexité des questions et des facteurs qui tissent la tragédie des exodes syriens, libyens, irakiens, afghans, érythréens dans un monde globalisé : un « tout » dont les parties sont interdépendantes. Le problème auquel nous avons à faire face à ce stade, indique le penseur de la complexité Edgar Morin, est que les liens – ceux entre le tout et les parties, mais aussi entre les parties elles-mêmes – sont encore largement impensés2. En cause, selon lui : une approche qui dissocie, plus qu’elle ne met en rapport, les déséquilibres d’une économie mondiale trop peu régulée, la myopie d’une géopolitique des intérêts particuliers, la tyrannie de régimes autoritaires postcoloniaux aux traits mafieux, tribaux ou claniques, les bouleversements internes des sociétés, des cultures et des appartenances, là et ici, exposées aux vents de la mondialisation marchande et consumériste, le déchaînement, en retour, des fanatismes identitaires et religieux.

Une analyse de Marc Sinnaeve, membre du Conseil d’Administration de PAC et professeur de journalisme à l’IHECS

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